Institut Panafricain du Développement Durable
Partout dans le monde, des fleuves, des montagnes et des volcans deviennent des personnes avec des droits.
Par-delà la personnification des « choses » vivantes animales ou végétales pour leur accorder des droits, la question se pose également de personnifier d’autres éléments de la nature. Ce avec le même objectif de pallier l’impuissance des politiques publiques, et dans tous les pays l’inefficacité des droits publics de l’environnement. Ce par la mobilisation du droit privé en reconnaissant ces éléments comme des véritables sujets du droit privé, avec toutes les conséquences pouvant en résulter aussi bien sur le fond que de manière processuelle concernant leur protection, y incluant parmi d’autres le droit à la vie et le droit de ne pas de ne pas subir des traitements dégradants qui sont considérés comme des droits fondamentaux. À rebours de la très forte résistance dans certains pays, cette personnification est déjà devenue une réalité dans d’autres, avec certains exemples devenus emblématiques.
Ces reconnaissances procèdent tant de textes tantôt de décisions jurisprudentielles. En Equateur, la Constitution qui célèbre la Pacha Marna accorde des droits à la Nature en la considérant dans son ensemble pour lui accorder des droits constitutionnels. En Bolivie, la Nature bénéficie de droits fondamentaux, en vertu de la loi de la Terre-Mère. Au Mexique, la Constitution de la Cité de Mexico inclut en son article la reconnaissance de la Nature comme sujet un de droit collectif. En Ouganda, la Nature a le droit d’exister, le droit au maintien et à la régénération de ses cycles vitaux, de ses fonctions et à son évolution, et il a été attribué à toute personne le droit de défendre la Nature. La jurisprudence joue également un rôle important. En Nouvelle-Zélande, le Parlement a qualifié le fleuve Whanganui d'être vivant. Dans l’Idaho aux États-Unis la rivière Snake s'est vue attribuer des droits par la tribu des Nez-Percés. En Californie, la tribu des Yurok a établi des droits pour la rivière Klamath. Dans le Wisconsin, la tribu Menominee pour la rivière éponyme. Depuis 2020 au Canada, le Esdilagh Sturgeon River Law pose que les hommes, les animaux, les poissons, les plantes, les paysages et les eaux ont des droits. Le Gange et son affluent la Yamuna en Inde ont été reconnus comme des « entités vivantes ayant le statut de personne morale » par la Haute Cour de l'État himalayen de l'Uttarakhand. De nombreux autres exemples pourraient encore être mentionnés tels que le lac Érié dans l'Ohio aux États-Unis, le fleuve Yarra en Australie sur lequel la ville de Melbourne a été fondée, les rivières Atrato, Pance, Otun, Magdalena ou Quindio ainsi que l'île de Salamanca et l'Amazonie colombienne désignée comme un véritable sujet de droit en Colombie, la forêt Los Cedros en Équateur, le lac Sukhna en Inde, le volcan Taranaki en Nouvelle-Zélande, la lagune Mar Meuor en Espagne. Ce qui démontre que tout écosystème particulier peut potentiellement se voir reconnaître des droits.
Deux justifications peuvent être mobilisées pour justifier ces personnifications par-delà celle des « choses » vivantes animales. La première est le caractère sacré de certains éléments de la nature pour les populations locales. Alors que le sacré est ignoré voire délibérément refoulé par certains droits, d’autres systèmes juridiques mobilisent au contraire la personnification du sacré pour le défendre en considération des traditions ou des croyances des populations locales qu’ils entendent faire respecter. Une justification alternative mais non moins puissante est celle constatant que éléments de la nature conditionnent l’existence d’écosystèmes qui sont indispensables à la survie d’espèces animales et végétales participant à la biodiversité, voire à la survie des populations humaines. Par derrière ces éléments de la nature tels que des fleuves, des lacs, des montagnes ou autres, c’est donc la protection du vivant qui est poursuivie, y incluant celle de l’espèce humaine. Cette deuxième justification rejoint la première en ce que selon certains systèmes de croyance, la personnification des fleuves s’impose en ce qu’ils sont considérés en réalité comme vivants. La Charte du droit du vivant proclamée par les Nations Unies le 26 mai 2021 soutient ce mouvement en ce qu’elle déclare que « chaque ordre juridique doit élargir, en se fondant sur le critère du vivant, la notion de personne physique pour y intégrer les personnes non-humaines préalablement désignées, et que « des droits positifs, propres et adaptés, différents de ceux attribués aux personnes humaines, doivent leur être reconnus ( ... ) ».
Reste à l’évidence que la personnification de certains éléments de la nature n’implique pas nécessairement une égalité de droits entre eux, et à plus forte raison avec les autres personnes physiques ou morales. A suivre …