Institut Panafricain du Développement Durable
La France a été condamnée le 3 septembre 2025 à réviser ses méthodes d'évaluation des risques concernant l'utilisation des pesticides.
L’arrêt rendu le 3 septembre 2025 par la Cour administrative d’appel de Paris dans l’affaire dénommée « Justice pour le vivant », qui condamne la France à réviser ses méthodes d’évaluation des risques concernant l’utilisation des pesticides, a été qualifiée de « moment historique » et de « tournant majeur ». 4 ans plus tôt, plusieurs associations ont lancé une action en justice contre l'État français, en accusant le gouvernement de ne pas protéger la biodiversité concernant les procédures d'autorisation des pesticides, qui sont responsables du déclin de la biodiversité. Selon des données mondiales, plus de 40 % des espèces d’insectes sont en déclin, et en Europe, la masse des insectes ailés a diminué de 75 % en moins de 30 ans. L’Etat français reconnaît l'urgence de la situation, mais continue d’être l'un des plus gros consommateurs de pesticides en Europe. Plusieurs plans ont été mis en place pour réduire leur usage mais ils ont échoué. Les associations soulignent que ces produits sont autorisés sans une évaluation adéquate de leurs impacts sur la biodiversité, entraînant une pollution des sols, de l'air, et de l'eau. Bien que l'État français ne soit pas jugé fautif pour ne pas avoir respecté les objectifs de ses plans de réduction des pesticides, la cour administrative d’appel de Paris a reconnu la contamination des sols et des eaux, ainsi que le déclin de la biodiversité, et a confirmé la responsabilité de l'État pour des préjudices écologiques causés par les pesticides. Elle avait déjà reconnu précédemment un préjudice écologique lié à l'utilisation de ces produits, et ordonné au gouvernement d'améliorer ses mesures de réduction des pesticides et de protection des eaux souterraines. L’arrêt du 3 septembre 2025 s’inscrit dans cette logique sans être nouveau de ce point de vue. Le gouvernement n'est pas même condamné à agir immédiatement pour réduire l'utilisation de pesticides et pour protéger les eaux souterraines, alors que la contamination des eaux en France par des polluants dits « éternels » devient un problème grave. Ainsi, malgré la reconnaissance de fautes, l’État n'est pas contraint d'agir sans délai, ce qui limite son l’efficacité pratique de la décision rendue.
La condamnation la plus significative est que la cour administrative d’appel de Paris a demandé à l'État français de revoir ses méthodes d'évaluation des risques dans un délai de 24 mois. La question nouvelle était donc celle non pas du préjudice écologique, mais celle des procédures d’autorisation de ces produits dangereux, dont les associations dénonçaient la méthodologie. La Cour reproche à l'État de ne pas avoir bien évalué les risques liés aux pesticides. Elle a demandé à l'État de réexaminer, dans les 24 mois, les autorisations de mise sur le marché qui n'ont pas respecté les normes d'évaluation. En France, l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire et de l’Alimentation (ANSES) est en charge des procédures d’évaluation et d’autorisation des produits phytosanitaires. La France est condamnée en raison des manquements de son agence dans ses procédures d’évaluation des risques. Ce par référence à la réglementation européenne de la mise sur le marché des pesticides prévue par le règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009, qui énumère les exigences auxquelles un produit doit satisfaire pour qu'un État membre puisse l'autoriser sur son marché intérieur. Les principaux critères sont que le produit, dans des conditions réalistes d'utilisation et selon ce qui est prévisible eu égard à l'état actuel des connaissances scientifiques, n'ait pas d'effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine et ni d'effet inacceptable sur l'environnement.
Selon l'article 1er de ce règlement européen, les procédures d'autorisation des produits phytosanitaires doit se fonder sur le principe de précaution. Etant précisé que ce principe de précaution est dans le cas présent un principe européen qui se distingue du principe de précaution français inscrit en 2004 à l’article 5 de la Charte de l’environnement française selon lequel « lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Au niveau européen, les procédures d’évaluation obéissent à des principes uniformes exigeant que chaque État membre examinant la demande « procède à une évaluation indépendante, objective et transparente, à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles en utilisant les documents d'orientation disponibles au moment de la demande ». L’exigence européenne se distingue de la règle française en ce qu’il ne peut être question de la mise en balance avec un autre intérêt agricole national. Saisie de l’interprétation de ce règlement, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) en retient une application stricte. Elle a exigé par le passé que les autorités nationales et européennes prennent en compte « les effet cumulés et synergistes des substances entre elles lors des phases d'homologations tant des substances que des produits ». Et précisé encore qu’il incombe aux autorités de tenir compte des données scientifiques disponibles les plus fiables ainsi que des résultats les plus récents de la recherche internationale. Par un arrêt du 25 avril 2024 la CJUE a précisé que les États ne doivent pas se limiter à fonder leur évaluation des risques sur les seuls documents d'orientation disponibles, lorsqu'ils estiment que ceux-ci ne reflètent pas suffisamment l'état des connaissances.
Les présentes directives européennes pour l’évaluation des risques sont délivrées aux seuls Etats membres de l’Union européenne. Mais nul doute qu’elles intéresseront également les entreprises s’agissant de la cartographie des risques qu’elles doivent rendre dans le cadre de leurs plans de vigilance. L’intérêt de l’arrêt rendu le 3 septembre 2025 déborde donc de la seule sphère administrative pour intéresser également les activités privées des entreprises concernant leurs méthodes d’évaluation des risques, par delà la seule question des pesticides. A suivre …