Institut Panafricain du Développement Durable
Les victimes climatiques de Saint-Louis peuvent trouver dans le droit européen plusieurs fondements juridiques pour obtenir réparation des dommages qu’elles ont subi
Le panorama des dommages climatiques subis par Saint-Louis du Sénégal en raison de l ‘élévation du niveau de la mer et de l’affaissement de l’ile, c’est une ville autrefois capitale du Sénégal et de la Mauritanie immergée aux deux tiers voire aux trois quarts d’ici la fin du XXIème siècle, déjà des centaines de maisons, des écoles, des mosquées emportées et le plus grand cimetière de la ville déjà submergé, plusieurs milliers de pêcheurs ayant dû quitter leurs logements sur la plage pour survive dans une cité dortoir éloignée de 10 km, une activité de pêche autrefois la plus importante de toute l’Afrique de l’Ouest réduite à 10 % des pêches du pays alors que poisson représente 70 % des protéines consommées au Sénégal, la remontée des eaux souterraines menaçant la cathédrale Saint-Louis moins de 4 ans après sa rénovation, les façades d’une architecture d’exception classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO se désagrégeant lentement sous l’action du salpêtre, la déliquescence des fondations du pont Faidherbe, etc, etc… Comment et par qui ces dommages climatiques peuvent-ils être réparés ?
Par application de l’un des principes les mieux établis du droit international privé régissant le conflit de lois en matière de responsabilité extra-contractuelle, la loi régissant la réparation des dommages climatiques subis à Saint-Louis est la loi sénégalaise en tant que loi du lieu de réalisation du dommage (lex loci délictii). Parmi d'autres instruments internationaux, ce principe est rappelé notamment par la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la responsabilité du fait des produits. Pour autant, ni le Sénégal ni aucun autre pays du continent African ne se comptent parmi ses parties contractantes, el les délits climatiques dont s’agit sont nécessairement des délits complexes en ce qu’ils se réalisent dans de nombreux états partout sur la planète. Ce avec la conséquence s’agissant de régir la réparation des dommages subis, d’offrir aux victimes climatiques une option entre la loi du lieu de la réalisation des dommages, et la loi du lieu du fait dommageable, savoir concrètement la loi du siège social des entreprises pouvant être considérées comme responsables. Tel constat justifie d’examiner ci-après les fondements juridiques non pas sénégalais mais européens sur lesquels les victimes climatiques de Saint-Louis pourraient envisager d’agir contre des entreprises européennes pour obtenir réparation de leurs préjudices, qu’il s’agisse de la commune de Saint-Louis, de ses ressortissants incluant ses pêcheurs et autres professionnels, de leurs associations de défense, ou encore de l’État Sénégalais.
Parallèlement au Traité de Paris souvent invoqué, dont il ne faut pas négliger la portée mais dont il importe de rappeler qu’il ne vise pas les entreprises, et dont l’application directe à elles demeure encore très incertaine, plusieurs fondements juridiques nouveaux ont émergé en droit européen pour fonder la responsabilité des entreprises ayant contribué au réchauffement climatiques et à ses conséquences dommageables. Parmi ceux-ci, le devoir récent pour les plus grandes entreprises de concevoir et d’exécuter un plan de vigilance incluant une cartographie des risques y compris climatiques, ainsi que l’exigence de publier annuellement un rapport de durabilité, lesquels constituent autant de fondements pour des responsabilités des lors que ces nouveaux devoirs ont été ignorés en tout ou partie. S’agissant de prévenir la réalisation des dommages climatiques dont il a été jugé qu’ils entrent dans le champ de la protection des droit de l’homme, ces devoirs peuvent revendiquer de surcroît un caractère extra territorial au profit de victimes extra européennes. La difficulté principale les concernant étant celle de leur caractère récent et en principe non rétroactif, avec la conséquence de ne fonder la réparation que de la seule aggravation pour l’avenir des dommages climatiques, et non pas celle des dommages climatiques déjà réalisés.
Un autre fondement juridique plus ancien pourrait néanmoins être utilement mobilisé, s’agissant de la directive européenne 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative la responsabilité du fait des produits défectueux, laquelle institue une responsabilité de plein droit sans faute, en attribuant la qualification juridique de produit défectueux aux produits qui n’offrent pas « la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ». Ayant été jugé qu’un produit n’ayant pas été assorti de l’information requise au jour de sa mise en circulation pour prévenir la réalisation de dommages reçoit de manière extrinsèque cette qualification juridique de produit défectueux, quand bien même il n’aurait pas été intrinsèquement défectueux. Cette directive européenne désigne comme responsables les producteurs des produits défectueux, en incluant non pas seulement les producteurs de produits finis, mais également les producteurs de matières premières, leurs importateurs en Europe ainsi que les entreprises ayant simplement commercialisé ces produits sous leur marque ou sous un signe distinctif quelconque. S’agissant des énergies fossiles, il ne pourra qu’être constaté que leurs producteurs n’ont jamais communiqué concernant les risques climatiques que leur production et leur consommation impliquait. De ce seul chef, ces énergies fossiles sont susceptibles de recevoir la qualification de produits défectueux engageant de plein droit la responsabilité climatique de leurs producteurs quand bien même aucune faute ne pourrait leur être imputée. Étant rappelé que cette directive européenne a été adoptée voici déjà 40 ans alors que la question des dommages climatiques ne se posait pas encore. De ce chef, et sous réserve des objections qu’ils ne manqueront pas de soulever mais qui pourraient ne pas résister à un examen plus approfondi, la responsabilité des producteurs d’énergies fossiles apparaît de nature à les obliger à réparer la totalité des dommages climatiques causés depuis le 25 juillet 1985, soit concrètement la quasi-totalité des dommages climatiques.
Il sera rappelé enfin qu’en principe, une juridiction territorialement compétente pour établir des responsabilités et réparer un dommage subi dans son ressort peut fort bien, voire doit impérativement, appliquer non pas sa propre loi (lex fori), mais en remplacement de celle-ci la loi étrangère désignée par les règles de conflit de loi qui sont les siennes. Avec l’avantage en résultant pour les victimes non pas seulement de leur proximité avec la juridiction compétente, avec les économies de frais de justice en résultant, mais également du bénéfice de leurs propres règles de procédure. Et la possibilité encore pour l’exécution de la décision rendue par la juridiction locale d’en poursuivre l’exequatur par-devant les juridictions européennes, sans que celles-ci puissent les réviser sur le fond, sauf fraude ou violation du principe de la contradiction. Les victimes climatiques de Saint-Louis pourraient donc trouver grand avantage à introduire leurs actions en réparation à Saint-Louis pour réclamer par-devant leurs juridictions le bénéfice non pas de la loi sénégalaise mais des lois européennes contre les sociétés européennes responsables. Etant rappelé que ces sociétés sont européennes sont tenues de respecter cette législation au profit des victimes européennes, et qu’il serait pour le moins discriminatoire que les victimes africaines ne doivent pas jouir des mêmes droits à réparation des préjudices climatiques subis par elles. Lesquels faut-il le réparer une fois de plus, ont la nature de droits fondamentaux bénéficiant de la protection des droits de l’homme. Il existe donc un intérêt pour que es victimes connaissent les évolutions du droit européen en cette matière, ce qui est l’objet du présent BLOG. À suivre …