Institut Panafricain du Développement Durable


Le préjudice environnemental pur est-il réparable ?

La loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » a créé dans le code civil français un nouveau chapitre dénommé « La réparation du préjudice écologique », qu’un nouvel article 1247 définit comme « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement ». 

Que faut-il comprendre exactement par cette définition quelque peu alambiquée dont seul peut-être le législateur français toujours prompt à délivrer sa lumière à la Planète toute entière aura compris le sens ? Dans tous les pays, le droit sanctionne civilement les atteintes portées aux biens par des dommages et intérêts qui sont alloués à leurs propriétaires. La condition de simple bon sens de cette réparation étant précisément que ces biens aient un propriétaire. Avec, en corolaire, toute la difficulté de réparer les dommages portés à tous les biens qui sont dépourvus de propriétaire, tels notamment que l’air, l’eau des océans, ou encore les animaux n’appartenant à personne, et par extension des concepts n'ayant jamais été jusque ce jour considérés comme des biens, tels que l'environnement ou le climat.

Les concernant, il paraissait impossible techniquement de réparer les atteintes pouvant leur être portées, faute de pouvoir déterminer concrètement la personne devant recevoir cette réparation. Le préjudice environnemental dit « pur » a précisément pour objet ces atteintes portées à ces éléments de la nature qui sont dépourvus de propriétaires. En France, le naufrage le 12 décembre 1999 du pétrolier Erika avec la catastrophe écologique qui en a résulté a attiré l’attention sur cette difficulté, en raison d’une pollution sur 400 km des côtes de la Bretagne, et de la destruction estimée entre 150 000 et 300 000 oiseaux. Le 25 septembre 2012, la société TOTAL SA désormais TOTAL ENERGIES a été définitivement condamnée à payer 200 millions d’euros au titre de la réparation d’un préjudice estimé à plus de un milliard. Pour la première fois, la Cour de cassation a consacré dans cette affaire la réparation autonome des préjudices écologiques. Alors que par le passé, la jurisprudence les réparait de manière indirecte, sans en avoir jamais reconnu l’existence autonome, par le recours à la réparation d’un préjudice moral subi par toutes personnes pouvant le revendiquer (pêcheurs et autres professionnels, associations de défense, collectivités territoriales, etc.). L’apport principal de la loi du 8 août 2016 est d’inscrire au fronton du code civil français, autrefois considéré comme la constitution civile de la France, l’existence autonome de ce « préjudice écologique ». Par derrière le symbole, s’agit-il d’un progrès, d’une régression, ou simplement d’un non évènement ? 

Concernant la définition elle-même pour commencer, il n’est nullement acquis par avance que les modifications du climat seront considérées comme une « atteinte non négligeable » aux écosystèmes, dès lors qu’elles produisent leurs effets très lentement sur de nombreuses années. De ce point de vue, la réponse apparaît abandonnée à la subjectivité des interprétations qui en seront faites. Concernant le droit d’agir en justice, le nouvel article 1248 du code civil prévoit que « L'action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir ». Pareille formule n'apparaît pas ajouter à la règle générale selon laquelle en France « l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ». Concernant la détermination des condamnations, le nouvel article 1249 du code civil semble apporter une précision en prévoyant que « la réparation du préjudice écologique s'effectue par priorité en nature », et que, « en cas d'impossibilité de droit ou de fait ou d'insuffisance des mesures de réparation, le juge condamne le responsable à verser des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l'environnement, au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l'Etat ». Comment ces dommages et intérêts seront-ils affectés pour surmonter précisément la difficulté par laquelle ces biens n'ont pas de propriétaire ? Nul ne le sait. La question fondamentale demeure donc sans réponse. La loi crée-t-elle un ou des patrimoines d’affectation en le distinguant de celui des personnes agissant en justice y compris l’Etat ? Sans doute pas. Tout cela semble moins que clair. 

Avec néanmoins deux avancées pouvant se révéler considérables. En premier lieu, le nouvel article 1246 du code civil prévoit que « Toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer ». Ce sans plus exiger aucune faute de sa part. S’agit-il d’une nouvelle hypothèse de responsabilité objective sans faute ? Peut-être, mais cela n'est nullement acquis par avance tout dépendant de l'interprétation qui en sera faite. Surtout, un nouvel article 1251 prévoit que « Les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d'un dommage, pour éviter son aggravation ou pour en réduire les conséquences constituent un préjudice réparable ». Outre la possibilité d’une nouvelle hypothèse de responsabilité objective sans faute, la loi française prévoit de la sorte la réparation préventive des dommages écologiques avant même leur réalisation. Compte tenu des enjeux financiers considérables intéressant la prévention de pareils dommages y incluant potentiellement les dommages climatiques, on n’ose pas vraiment y croire. Etant constaté en creux pour finir que la loi ne dit rien concernant l’indispensable relation de causalité entre le fait dommageable et le dommage en résultant. Lequel constitue habituellement le principal obstacle à l’établissement des responsabilités environnementales ou climatiques par-devant les tribunaux. A suivre …
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