Institut Panafricain du Développement Durable


Pour la première fois, une grande société française est condamnée le 5 décembre 2023 pour avoir ignoré son obligation de vigilance.

La question de la cartographie des risques est au cœur du premier jugement français rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 5 décembre 2023 qui condamne la société LA POSTE SA. Cette société publique française est la société mère d’un groupe qui emploie dans le monde près de 250 000 salariés, et qui dépasse à ce titre le seuil des 10 000 salariés au-delà duquel la loi française n° 2017-399 du 27 mars 2017, désormais codifiée par l’article L. 225-102-4 du Code de commerce, a imposé l’établissement d’un plan de vigilance, 7 ans avant la directive européenne du 13 juin 2024. L’objet du litige était le recours massif par cette société à la sous-traitance qui exposait les salariés au risque d’atteintes à leurs droits sociaux en matière notamment de harcèlement et de travail dissimulé. Quand bien même, il ne concernait pas l’environnement ni le climat, ce premier jugement est néanmoins intéressant à plus d’un titre pour éclairer les futures décisions qui seront rendues en Europe sur le fondement de cette directive. 

Dans cette affaire, la société LA POSTE SA avait bien établi et mis en œuvre un plan de vigilance. Mais le syndicat SUD PTT jugeait que celui-ci n’était pas conforme aux exigences légales. Après avoir notifié à la société une mise en demeure à la société de régulariser le plan conformément aux exigences de la loi, et après plusieurs escarmouches judiciaires concernant cette seule mise en demeure, le syndicat a saisi le tribunal en visant la nécessité de compléter le plan de vigilance de manière substantielle, concernant notamment une cartographie des risques précise et un mécanisme d’alerte en concertation avec les organisations syndicales représentatives. Il demandait qu’une injonction soit délivrée à la société LA POSTE SA assortie d’une astreinte de 50 000 € par jour de retard à compter du jugement à intervenir. De son côté, LA POSTE SA se défendait en mettant en avant les lacunes de la loi laquelle n’impose aucune obligation légale ou réglementaire de publier une « cartographie exhaustive de ces risques ». Elle faisait valoir « que la forme que doit revêtir cette cartographie n'est pas précisée ». Avec la conséquence selon elle qu'il en résulterait une liberté pour les sociétés assujetties à la loi du 27 mars 2017 de fixer les modalités de publication de la cartographie en cause. La défense de LA POSTE SA pouvait apparaître pertinente dès lors qu’elle avait effectivement établi et mis en œuvre un plan de vigilance. 

Cet argument est néanmoins rejeté fermement par le tribunal qui, par-delà les termes de la loi, fixe un standard minimum devant régir la cartographie des risques dans toutes les sociétés assujetties au devoir de vigilance. Ce standard minimum exige une approche aussi concrète que possible devant être articulée sur les activités de l’entreprises en tous leurs aspects. Selon l’exposé de ses motifs, « il s'agit, en concertation avec les parties prenantes, d'identifier et d'analyser l'impact potentiel des activités de l'entreprise sur les droits fondamentaux des personnes, leur santé et sécurité ou sur l'environnement en prenant concrètement en compte, sur l'ensemble de la chaîne de valeur, des facteurs précis susceptibles d'engendrer la réalisation des risques tels que le secteur et la nature de l'activité, sa localisation, le mode de relation commerciale et le cadre juridique lui servant de support, la dimension, la structure ou les moyens des filiales ou des partenaires ainsi que les conditions matérielles de production ou de réalisation de la prestation ». LA POSTE SA est condamnée pour avoir mis en œuvre une méthodologie trop générale en s’étant limitée à une approche « in abstracto » des facteurs de risques, à un niveau excessivement global, sans tenir compte des spécificités de l’entreprise, et sans « déterminer quels facteurs de risque précis liés à l'activité et à son organisation engendrent une atteinte aux valeurs protégées ». Dès lors que la cartographie des risques était insuffisante, le plan de vigilance ne pouvait plus être suffisant également en ses autres éléments complémentaires, savoir l'évaluation des filiales et des sous-traitants, les actions de prévention, la mise en œuvre d’un mécanisme d'alerte et le suivi des mesures. De la sorte, la cartographie des risques est placée en plein cœur du plan de vigilance et du devoir de vigilance. Tel est l’apport principal de ce jugement. Un véritable plan de vigilance ne peut pas exister sans une cartographie des risques conforme au standard minimum qui est requis. 

Pour autant, concernant les demandes du syndicat pour des clauses de résiliation dans les contrats de sous-traitance, le tribunal affirme qu'il ne peut pas imposer de mesures précises. Il a également refusé d'exiger que la société publie une liste de ses fournisseurs, la considérant non nécessaire et nuisible au secret commercial. Et pour finir, il refuse d’assortir son injonction de l’astreinte qui lui était demandée. Le tribunal laisse donc le temps à la société de corriger son plan en concertation avec les parties prenantes. A suivre …
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