Institut Panafricain du Développement Durable
La nouvelle exigence depuis le 5 janvier 2023 de publier une comptabilité environnementale et climatique au service du Développement durable
Dans le sillage de la compliance et parallèlement au nouveau devoir de vigilance, voici arrivée une troisième réglementation européenne au service du développement durable, avec la nécessité d’en mesurer l’objet et la portée. Ici encore le formalisme est mobilisé par les autorités européennes au service des objectifs poursuivis. Dans le cas présent il a pour objet non pas les obligations des entreprises en matière de développement durable, mais l’information délivrée par elles à l’intention des tiers, qu’il s’agisse des autorités publiques, des justiciables et de leurs associations, et également de leurs investisseurs et des banques les finançant. Ce avec l’intention d’orienter leurs décisions, ou tout au moins de les éclairer préventivement, avec les conséquences juridiques pouvant en résulter les concernant s’agissant de leur éventuelle responsabilité civile. Dit autrement, les investisseurs et les banques ayant financé des activités dont elles ne pouvaient plus ignorer le caractère dommageable pour l’environnement ou le climat ne pourront plus soutenir qu’elles ne savaient pas. S’inscrivant dans la grande vague au service de la transparence, l’intention est sans aucun doute louable, en pouvant laisser espérer une modification tangible des comportements.
De manière plus précise, la directive européenne du 16 décembre 2022 sur la publication d'informations en matière de durabilité (CRSD : Corporate Sustainability Reporting Directive), entrée en vigueur le 5 janvier 2023, exige des grandes entreprises qu'elles communiquent sur leur impact social, sociétal et environnemental. Elle améliore une première directive européenne dite NRFD (Non-Financial Reporting Directive) adoptée en 2014 pour améliorer et harmoniser la divulgation d’informations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) par les grandes entreprises. Ce qui est au cœur du sujet est le « reporting » extra-financier, pour imposer que les grandes entreprises communiquent des informations non pas seulement financières, mais également non financières, avec la garantie que ces informations non financières soient honnêtes et complètes, en tenant compte de tous les impacts résultant de leurs activités. De la même manière qu’il existe des référentiels communs pour régir la publication des données comptables et financières des entreprises (normes IFRS, développées par l'IASB), qui sont absolument indispensables et sans lesquels aucune comparaison ne pourrait exister de leurs résultats financiers, l’objectif est également de construire un référentiel européen commun devant régir les informations extra-financières, notamment en matière environnementale et climatique. La réalisation de cet objectif promet d’être complexe lorsque l’on se souvient de toutes les difficultés rencontrées par le passé pour l’harmonisation des normes comptables entre les différents pays, en raison notamment des divergences entre l’Europe et les Etats-Unis, et alors que par sa nature, l’information financière est infiniment plus aisément quantifiable que l’information non financière. De manière générale, il importe désormais d’intégrer dans la détermination de la valeur financière et des résultats des entreprises toutes les considérations extra financières requises, pour permettre une comparaison aussi objective que possible entre elles..
Par-delà la délivrance des informations pertinentes incluant d’autres considérations que financières, le premier objectif des autorités européennes est comme toujours celui de la concurrence sur le marché européen, avec la nécessité d’organiser un cadre commun qui est essentiel pour la circulation des capitaux au sein de l'Union européenne. Le premier objectif est donc bien celui du développement du capitalisme européen. Mais ce capitalisme est mis au service dans le même temps de la cause environnementale et climatique dès lors que la publication de ces informations aura nécessairement pour conséquence d’orienter les financements et les investissements, et pour que la rentabilité ne soit plus dissociée de la protection de l'environnement, du climat, de la justice sociale et des droits de l’homme en général. Par-delà l’information elle-même et le formalisme qui va la régir, cette réglementation va nécessairement encourager les entreprises à développer des plans d'action et des objectifs de durabilité, contribuant de la sorte indirectement à une transition vers une économie durable. L'information est mobilisée ainsi pour orienter les comportements. Ce sous la menace potentielle d'une sanction juridique s'agissant d'une éventuelle responsabilité civile, mais encore sous la menace commerciale infiniment plus comminatoire d'un « Name and Shame » conduisant à une mise à l'index, voire à une peine de mort commerciale. Les entreprises vont donc devoir réfléchir grandement désormais à leur définition du « juste profit », en intégrant les facteurs environnementaux et sociaux dans leurs stratégies. Dans le cas présent, le formalisme promet d’être une fois de plus l’« ennemi juré de l’arbitraire ». Aussi louable soit l’objectif, on comprend néanmoins aisément que sa réalisation risque de rencontrer de nombreuses résistances et de nombreux obstacles. A suivre …