Institut Panafricain du Développement Durable


Que faut-il retenir de la saga climatique française « Grande Synthe » ?

La saga climatique française « Grande Synthe » demeurera dans la mémoire du droit climatique français et n’a pas échappé aux victimes étrangères du réchauffement climatique. Elle se déroule en trois décisions rendues successivement par le Conseil d’Etat français, sur la demande de la commune de Grande-Synthe située en France en littoral de la mer du Nord. Cette petite commune est particulièrement exposée aux conséquences dommageables du réchauffement climatique en raison de l’élévation du niveau de la mer, et des risques de submersion marine et d’inondations en résultant. Son maire soutenu par les ONG déjà parties prenantes dans l’« Affaire du Siècle » va demander au gouvernement français de prendre des mesures pour intensifier la lutte contre le réchauffement climatique, et va déposer un recours gracieux auprès du gouvernement français critiquant l’inaction climatique des dirigeants français. Ce recours ressemble à celui des ONG introduit en mars 2019 dans l’« Affaire du Siècle », bien que tous deux aient poursuivi des objectifs juridiques différents. Savoir obtenir d’un côté l’annulation d’une décision implicite de rejet dans l’affaire Grande Synthe, dans le cadre d’un recours administratif dit en excès de pouvoir, à la différence de l’autre côté d’un recours en responsabilité dans l’« Affaire du Siècle ». 

Sans réponse du gouvernement français, le maire de Grande Synthe va saisir le Conseil d’Etat, lequel va rendre une première décision le 19 novembre 2020. Celle-ci a été qualifiée d’historique en ce sens que le Conseil d’Etat demande à la France de démontrer dans un délai de 3 mois le respect de sa trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre de moins 40 % à l’horizon 2030. Etant rappelé que la France s’était engagée, sans en prendre le chemin, à diminuer ses émissions de 40 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990, et à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Cette trajectoire à laquelle la France s’est engagée n’est plus considérée comme simplement facultative, mais elle est jugée juridiquement contraignante pour la France. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une simple promesse politique. De ce point de vue, la décision rendue pouvait être jugée révolutionnaire. C’est de surcroît la première fois que le Conseil se prononce sur la place et le rôle de l’Accord de Paris dans le droit climatique français. Suivant sa jurisprudence antérieure, le Conseil d’État rappelle que l’Accord n’a pas direct. Mais il souligne qu’il faut néanmoins en tenir compte afin de mieux orienter, et pour guider le droit climatique national. Les juges déclarent ainsi que son contenu doit être « pris en considération dans l’interprétation des dispositions de droit national […] », en s’inspirant de la sorte de la technique de l’applicabilité indirecte des directives européennes non transposées bien connue du droit européen, et redoutablement efficace au service de l’effectivité du droit européen. Le Conseil d’État confirme donc bien ici que le gouvernement a une obligation de suivre par ses actes législatifs, réglementaires et administratifs, les objectifs fixés par l’Accord et auxquels la France s’est engagée. 

Une deuxième décision a été rendue dans le même sens par le Conseil d’Etat le 1er juillet 2021. Suivie de la troisième décision rendue le 10 mai 2023, par laquelle le Conseil d’Etat enjoint à nouveau le gouvernement français de prendre des mesures supplémentaires pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par un décret du 21 avril 2020. Et ce en vue d’atteindre avant le 30 juin 2024 les objectifs de diminution fixés par le code français de l’énergie, et par le règlement de l’Union Européenne du 30 mai 2018. Le Conseil d’Etat constate l’inexécution de sa décision Grande Synthe-II du 1er juillet 2021 qui visait l’objectif de réduction d’émissions de 2030. Mais il rejette néanmoins l’astreinte qui lui a été demandée, alors même que le Conseil d’État a souligné à plusieurs reprises que son office consistait à examiner l’obligation du gouvernement d’honorer une injonction. Les plus hauts juges administratifs français ne semblent donc pas très pressés de vouloir accélérer la cadence du gouvernement. Il conclut simplement qu’il y a lieu, en l’état, de compléter l’injonction en édictant les mesures complémentaires nécessaires pour en assurer l’exécution totale, sans qu’il soit besoin par ailleurs de prononcer une astreinte. 

La portée de cette troisième décision doit être relativisée en regard de l’office qui était en l’espèce celui du Conseil d’Etat en qualité de juge de l’exécution de ses décisions antérieures. Dans ce cadre spécifique, il devait statuer en considération du comportement de la France, et en recherchant la meilleure façon de parvenir à l’entière exécution. Contrairement aux contentieux sur la pollution de l’air, il préfère dans le cas présent faire confiance au gouvernement et observer sa volonté de parvenir aux objectifs, plutôt que de constater un refus d’exécution des décisions rendues. Absolument rien de nouveau donc sur ce point.

La nouveauté est que le gouvernement français devra produire, à échéance du 31 décembre 2023 puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Il devra justifier que les mesures prises, ainsi que les mesures qui peuvent encore être raisonnablement adoptées pour produire des effets dans un délai assez court, rendent possible une courbe des émissions de GES compatible avec l’atteinte des objectifs fixés à l’échéance 2030. Il crée de la sorte un nouveau devoir à la charge du gouvernement français, qui est de justifier de son action climatique, en ouvrant de la sorte un nouveau fondement juridique, en même temps formel et substantiel, pour des recours juridictionnels concernant ces justifications. Ce parallèlement et indépendamment des recours déjà reconnus concernant la trajectoire climatique elle-même. Il existe don désormais non plus seulement un seul fondement juridique au service du droit climatique, mais deux fondements distincts bien que concourant aux mêmes finalités. La décision du 10 mai 2023 n'est donc nullement décevante de ce point de vue pour les victimes climatiques, contrairement à ce qui a été soutenu par certains commentateurs. La saga climatique Grande Synthe n’est certainement pas terminée. A suivre …
Recherche