Institut Panafricain du Développement Durable


Qu'est-ce en France que l'« Affaire du Siècle » ?

En décembre 2018, diverses associations incluant Oxfam France et Greenpeace France ont demandé à l'État français de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour maintenir la température terrestre à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de de compenser symboliquement les préjudices écologiques déjà constatés. Après le rejet de cette demande par les autorités compétentes françaises, ces associations ont saisi le tribunal administratif de Paris. Le jugement du tribunal administratif de Paris du 14 octobre 2021 ordonne à l'État français de prendre des mesures pour réparer le préjudice écologique causé par les excès d'émissions de gaz à effet de serre. Il n’est pas totalement novateur en ce qu’il s’inscrit dans le prolongement d’un jugement antérieur déjà rendu le 3 février 2021 par la même juridiction, lequel avait déjà reconnu le principe de la responsabilité de l’Etat français dans l’aggravation du préjudice écologique résultant de sa carence dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique. Pour autant, son retentissement a été considérable au point que cette affaire a été dénommé l’Affaire du Siècle » et que ce jugement a été également désigné comme « le casse du siècle » !

Plus précisément, le tribunal administratif de Paris a constaté que l'État français n'avait pas respecté ses propres objectifs d'émissions de gaz, et par ces motifs l’en a jugé tout au moins partiellement responsable. La nouveauté est qu’au lieu de condamner l’Etat français à une réparation financière dont personne ne sait bien à ce jour quantifier le montant dans le domaine du réchauffement climatique, il a ordonné à l'État par une injonction de prendre des mesures concrètes, ce en imposant au Premier ministre et aux autres ministres français compétents de « prendre toutes les mesures sectorielles utiles de nature à réparer le préjudice à hauteur de la part non compensée d’émissions de gaz à effet de serre ». Ce en laissant à « la libre appréciation » du gouvernement français la détermination de ces « mesures sectorielles utiles ». `

La démarche retenue apparait habile à plus d’un titre. Comme chacun le sait, la détermination d’un préjudice est toujours délicate, outre que la charge de la preuve pèse sur ceux qui en réclament la réparation. Avec le résultat que les réparations allouées en France sont souvent très décevantes, et ce plus encore, en raison de la spécificité française qui les distingue, par-devant les juridictions administratives plus soucieuses des deniers de l’Etat que les juridictions judiciaires concernant les deniers des responsables privés et de leurs assureurs.  A laquelle une autre difficulté s’ajoute encore.  Les parties demanderesses d’une indemnisation doivent toujours prouver l’indispensable relation de causalité entre le comportement du responsable et le dommage invoqué, sans laquelle aucune responsabilité ne peut être imputée. Charge de la preuve également lourde à porter, alors dans le cas présent que l’Etat français n’est évidemment pas à lui seul responsable de ces dommages. 

Pour « contourner » ces obstacles, le tribunal administratif de Paris délivre à l’Etat français et ses représentants une injonction de faire. Le procédé en soi n’est pas nouveau, quand bien même la tradition révolutionnaire française interdisait anciennement aux juges sous peine de forfaiture de délivrer des injonctions à l’Etat. Mais il prend un relief spécifique s’agissant de prévenir la survenance des dommages climatiques. C’est à cet endroit précisément que cette « Affaire du Siècle » peut devenir le « Casse du Siècle ». En ce sens que la délivrance d’une injonction de faire constitue le premier pas pour que celle-ci soit assortie dans le prolongement d’une astreinte devant être payée pour chaque jour ou pour chaque autre période de retard, avec le risque que les condamnations en résultant soient suffisamment comminatoires pour que pas même l’Etat français ne puisse pas y résister. La France connaît bien ce procédé pour avoir été déjà condamnée par le Cour de justice de l’Union européenne à des astreintes considérables pour avoir refusé de transposer diverses directives européennes, et avoir dû s’empresser en quelques jours seulement de régulariser la situation. Certes dans le cas présent, le tribunal de Paris n’ordonne pas une astreinte au soutien de son injonction. Mais la portée de la décision n’en est pas moins considérable, dans l’attente des autres à suivre qui pourraient s’y engouffrer dans le prolongement, s’agissant désormais de déterminer les réparations devant être payées. Le même procédé pourrait fort bien être également retenu en droit commercial et non plus seulement administratif, à l'endroit des entreprises pouvant être tenues pour responsables des changements climatiques, ce par application des procédures pouvant être mises en oeuvre en cas d'urgence, ou de dommage manifestement illicite. A suivre …
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