Institut Panafricain du Développement Durable
La société SHELL est-elle responsable du chef de la consommation des combustibles fossiles qu'elle vend ?
La Cour d'appel de La Haye a rendu le 12 novembre 2024 une décision importante dans un procès qui opposait la société pétrolière Shell et l’ONG Milieudefensie.
Cette ONG avait attaqué Shell au sujet de ses émissions dites de portée 3, qui sont les émissions causées par ses consommateurs industriels et privés brûlant les combustibles fossiles vendus, et qui constituent 95 % de toutes les émissions rapportées par Shell d'ici à 2030. Shell soutenait pour se défendre que ses émissions sont aussi bien les siennes que celles d'autres entreprises, et que les choix des consommateurs ne relèvent pas de sa responsabilité.
En première instance, le jugement rendu par le Tribunal de la Haye le 26 mai 2021 a demandé à Shell de faire un effort pour réduire ces émissions de 45 % d’ici à 2030, par comparaison avec ses émissions en 2019. Ce sur le fondement de l’article 6 : 162 du code civil néerlandais relatif à la responsabilité extra-contractuelle. Cet article est très semblable à l'article 1242 du code civil français en disposant que celui qui commet un acte illicite envers autrui est tenu de le réparer, avec la nécessité de comparer objectivement le comportement du défendeur au comportement d'une personne « raisonnable ». La condamnation de Shell a ainsi été fondée sur une obligation civile interne, s'agissant du devoir qui est celui de toute personne de mettre en oeuvre une diligence raisonnable (« Duty of care »). Par son arrêt rendu le 12 novembre 2025, la Cour d'appel de La Haye annule ce jugement au motif que l’obligation de Shell ne peut pas être définie en termes de pourcentage.
Tout en reconnaissant l'urgence climatique fondée sur des preuves scientifiques, la Cour ne généralise donc pas la responsabilité des entreprises sur le fondement du droit civil néerlandais. Pour autant, elle souligne que chaque entreprise a sa part de responsabilité dans la lutte contre le changement climatique, que le lien entre les émissions humaines et le réchauffement climatique est direct, et que les lois européennes et néerlandaises exigent une réduction significative des émissions d'ici 2030 et 2050. Elle met en avant l'importance du droit civil dans la lutte contre le changement climatique. La Cour conteste notamment la position de Shell en mentionnant que Shell a le pouvoir d’influencer les comportements d'achat de ses clients, et que des instruments juridiques existent pour fonder sa responsabilité. Surtout, et ce qui paraît le plus innovant et à contre-courant d’une opinion dominante, elle souligne la nécessité de recours civils en responsabilité extra-contractuelle si les mesures publiques ne suffisent pas, dès lors que la limitation des investissements dans la production pétrolière aurait pu être envisagée pour réduire les émissions litigieuses.
De ce point de vue, la décision rendue par la Cour d'appel de La Haye, aussi apparemment décevante puisse-t-elle apparaître pour la partie demanderesse, ouvre une piste interne nouvelle s’agissant du droit civil de la responsabilité extra contractuelle. Ce parallèlement à celles pouvant se fonder sur le droit européen ou sur l'Accord de Paris qui pourraient également dans l'avenir imposer aux compagnies pétrolières de réduire leurs émissions.
Outre la responsabilité civile de droit commun, une autre fondement de la responsabilité des compagnies pétrolières qui n'a pas été envisagé pourrait fort bien être cherché également dans la responsabilité de plein droit du fait de produits défectueux. Ce au motif que les produits pétroliers et leurs dérivés devraient recevoir la qualification juridique de produits défectueux dès lors que l’information intéressant les dommages climatiques résultant de leur consommation n’a pas été délivrée par leurs producteurs au jour de leur mise en circulation. Shell a donc emporté à La Haye une bataille judiciaire, mais pas nécessairement la guerre. A suivre ...